Neuf mois pour battre E. Macron, par Jacques Sapir.

La campagne pour la collecte des 4,7 millions de signatures (10% du corps électoral) nécessaire à la tenue du Référendum d’Initiative Partagée contre la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP) a donc commencée jeudi 13 juin à 00h. Cette campagne a un objectif immédiat : collecter un nombre suffisant de signatures pour porter une proposition de loi qui pourra être soit entérinée par le Parlement soit soumise à référendum en cas de refus du Parlement.

Cette campagne a un objectif politique: donner une suite au mouvement des Gilets Jaunes qui a marqué le pays depuis la fin du mois d’octobre 2018 et constituer un front «anti-Macron» susceptible d’infliger une défaite politique au Président et au «bloc bourgeois» dont il est le mandaté.

L’ENJEU TECHNIQUE

On l’a dit, le premier enjeu consiste à recueillir dans le délai de 9 mois courant à partir du 13 juin 2019 le nombre requis de signatures en «soutien à la proposition de loi» dite «proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aéroports de Paris» n° 2019-572. Cette procédure alambiquée (on vote POUR une proposition de loi, mais en fait CONTRE un projet du gouvernement) vient du texte même du RIP. Ce dernier précise en effet que: «l’objet de la proposition de loi (doit) respecter les conditions posées aux troisième et sixième alinéas de l’article 11 de la Constitution, c’est-à-dire que la proposition :
◦ ne porte que «
sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions»;
◦ n’a pas pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an;
◦ ne porte pas sur le même sujet qu’une proposition de loi rejetée par référendum il y a moins de deux ans;
◦ que la proposition de loi n’a pas pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique (article 40 de la Constitution).
• qu’aucune disposition de la proposition de loi n’est contraire à la Constitution (article 61 de la Constitution).
»

On mesure ici les différences entre le RIC, mis en avant par le mouvement des GILETS JAUNES et le RIP existant actuellement. Mais, faute de RIC c’est avec le RIP qu’il faut donc procéder. Signalons néanmoins que si cette campagne devait être couronnée de succès, elle constituerait dans les faits un PRÉCÉDENT qui reposerait immédiatement la question de l’élargissement des facilités pour que l’on puisse se saisir de la procédure référendaire.

L’enjeu technique de cette campagne débouche donc naturellement sur un enjeu politique considérable.

L’ENJEU POLITIQUE

Il y a, en premier lieu, un enjeu démocratique. On l’a dit, en réussissant à activer la procédure du RIP, en dépit de tous les obstacles mis sur le chemin par un législateur particulièrement hypocrite, c’est bien de créer un PRÉCÉDENT pour le RIC dont il s’agit. Car, si le référendum peut avoir lieu, et si il aboutit à la promulgation de la proposition de loi, la voie sera ouverte pour une forme de démocratie directe qui redonnerait au peuple la confiance dans la vie politique qu’il a aujourd’hui perdue.

Il y a, ensuite, un enjeu économique et social. Si cette privatisation est rendue impossible par la promulgation de cette loi, c’est en réalité toute la logique de privatisation des services publics qui sera remise en cause. Le succès de cette campagne, et du référendum auquel elle doit donner naissance, apparaît donc aujourd’hui comme un instrument pour bloquer la politique néo-libérale qui est actuellement à l’œuvre. En un sens, ce qui va se jouer dans cette campagne, c’est l’opposition entre «anti-libéraux» (au sens économique du terme) et «libéraux», c’est l’opposition entre ceux qui pensent qu’une logique de marché doit nécessairement s’imposer partout et ceux qui considèrent au contraire que le politique, la souveraineté du peuple, ont une primauté sur les règles économiques. L’enjeu de cette campagne il est bien dans le choix entre ordre démocratique (et «républicain » dans son sens le plus profond) et ordre de marché.

Il y a, enfin, un enjeu politique. Le mouvement des GILETS JAUNES est en train de s’essouffler. Il faut impérativement trouver des formes nouvelles d’expression à la colère qu’il porte. La campagne pour la collecte des signatures, parce qu’elle impliquera rapidement la constitution de COMITÉS DE BASE pour ce faire, le site électronique devant les recueillir s’avérant souvent difficile d’accès et au minimum lourd à utiliser, pourrait ouvrir de nouvelles perspectives à la mobilisation. Une campagne enracinée dans les milieux locaux, se déployant sur les marchés et dans un porte-à-porte de tous les instants, peut permettre tout à la fois de maintenir vivante cette mobilisation, mais aussi d’unir autour d’un objectif simple, mais aux implications profondes et structurantes, des militants provenant des courants politiques les plus divers. On l’a dit, l’instrument de cette campagne doit être des COMITÉS DE BASE ouverts à tous, sans a-priori et sans exclusives.

CONTRE LE «BLOC BOURGEOIS», POUR LA CONSTITUTION D’UN BLOC POPULAIRE.

Ce qui va se jouer dans cette campagne, implicitement, c’est aussi la constitution, face au «Bloc Bourgeois» (pour reprendre la belle expression de mes collègues Amable et Palombarini) la constitution d’un «front» des forces populaires. Il ne faut pas ici nourrir d’illusions: les divergences au sein des oppositions au gouvernement actuel et au locataire de l’Elysée sont importantes. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs légitimes. Elles ne s’effaceront pas en une campagne.

Mais il faut aussi affronter cette réalité : le «bloc bourgeois» est uni, même s’il peut connaître des fissures, et même si aboutir à sa fragmentation doit être un objectif intermédiaire, entre tactique et stratégie. Mais, pour infliger à ce «bloc bourgeois» une défaite significative, une défaite susceptible de le faire reculer, de réactiver les divergences et le haines internes qui n’ont été étouffées que par la perspective d’un accès rapide au pouvoir, il faudra constituer un «front». Ce «front» n’implique pas nécessairement des accords de parti à parti. L’un des rôles des COMITÉS DE BASE est justement de permettre la constitution de ce «front» non pas contre mais à côtés des partis et mouvements.

Mais, au sein de ce «front» peut se construire le «bloc populaire». Il implique que soit tenu un discours du peuple au peuple. Un discours sur des thèmes qui sont susceptibles de rassembler les milieux populaires contre leur ennemi, le «bloc bourgeois». On dira que ceci est trop limitatif. Mais, enfin, les slogans du «Front Populaire» de 1936, la Paix, Le Pain et la Liberté, n’étaient-ils pas, en un sens, eux aussi limitatifs?

La constitution d’un potentiel «bloc populaire» dans le cadre de cette campagne implique de rompre avec les habitudes sectaires qui consistent à vouloir imposer la totalité des thèmes et des revendications de son organisation. C’est le moment de faire preuve d’intelligence politique et stratégique.

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