Sur le plateau du Golan, bienvenue à Trump City.

Benyamin Nétanyahou a lancé un programme immobilier baptisé du nom du président américain. Un geste destiné à le remercier pour son dernier cadeau: la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté d’Israël sur le Golan.

Quelques bicoques, des jardins bucoliques et des bâtiments communautaires en ruine. Bienvenue à Kela Beruchim, cité perdue au bout du plateau du Golan. Bienvenue à Kela Beruchim, cité perdue au bout du plateau du Golan.

Au loin, se dessine le mont Hermon et son pic enneigé. La frontière syrienne est à 7 kilomètres, le Liban à 25 kilomètres. C’est ici que le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a prévu de poser au centre d’un terrain de football en friche la première pierre d’un programme immobilier baptisé du nom de son ami Donald Trump. Un geste destiné à remercier le président américain pour son dernier cadeau: la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté d’Israël sur le Golan, un territoire occupé par l’État hébreu depuis 1967 et dont la communauté internationale refuse d’avaliser l’annexion.

Trump City doit devenir le symbole d’une nouvelle ère pour la région mais le magnat de l’immobilier n’investirait sans doute pas un dollar à titre personnel dans son village éponyme. Kela Beruchim (les bénis en hébreu, NDLR) est un lieu étrange peuplé de gens bizarres. Les volets des maisonnettes sont clos mais du linge pend ici ou là dans les cours. La première personne croisée après avoir fait le tour de l’implantation est un apiculteur bodybuildé. D’origine russe, Denys est affalé dans un fauteuil défoncé en cuir sur le perron d’un bâtiment en déshérence. Il est venu surveiller ses ruches qui lui posent bien du souci. «On m’a demandé du jour au lendemain de les déplacer à l’occasion de la visite surprise de Nétanyahou en avril pendant les vacances de Pâques. Elles étaient installées à l’endroit où ils vont soi-disant commencer à construire», peste-t-il. «Je suis dans ce coin pour mener une vie paisible à la campagne et on raconte maintenant que la population du Golan va doubler. On va être envahi par des religieux qui vont nous imposer leur mode de vie. De toute façon, je ne crois pas que ce projet va marcher. Rien ne marche ici!» dit-il avant de s’éloigner pour retrouver ses abeilles.

Au détour d’un chemin, une vieille femme ouvre sa porte après des hésitations. «Je ne suis pas présentable avec mon tablier», minaude Nina. Elle et son mari ont quitté l’URSS en 1990 peu avant sa désintégration pour émigrer en Israël et échouer sur le Golan. Trump City l’inquiète, elle aussi, car «on ne sait pas ce qui va se passer et on ne sait pas qui sont ces gens qui vont venir vivre autour de nous». Puis elle fredonne en français, Parole, parole, parole !, la chanson de Dalida.

Les bureaux du centre communautaire se réduisent à une pièce vaguement entretenue. Le reste de la bâtisse n’a plus tous ses murs et peu de plafonds. L’ensemble dégage une telle impression d’apocalypse qu’il a servi de décor à une série télé d’épouvante intitulée Colonnes de fumée. La fiction raconte les péripéties d’une enquête policière dans un kibboutz sectaire du nord d’Israël dont les habitants ont mystérieusement disparu. La vraie histoire de l’implantation est moins effrayante. Elle est juste celle d’un échec. À Kela Beruchim, le nombre de résidents se compte sur les doigts des deux mains. Il faut y ajouter une poignée de jeunes squatters qui ont l’intention de fonder une école de préparation au service militaire. Ils sont convaincus que le Golan est une terre juive depuis les temps de la Bible, mais les précédents habitants du secteur étaient des Arabes syriens chassés par la guerre des Six-Jours. Leur armée s’était retirée de cette hauteur stratégique sans livrer véritablement bataille.

Après l’annexion de 1981, une politique de colonisation s’est mise en place avec ses hauts et ses bas. Puis en 1991, Ariel Sharon, alors ministre du Logement, a peuplé la région de migrants russes fraîchement débarqués en Israël. Une vingtaine de familles s’installèrent à Kela Beruchim. Elles parlaient mal l’hébreu, étaient au chômage, la perspective d’un logement gratuit était, pour elles, une aubaine. Les couples avaient suivi des études universitaires dans leur pays d’origine. Le Golan a été pour ces déclassés un exil dans l’exil. «La greffe n’a pas pris mais d’autres projets engagés aux alentours fonctionnent bien», constate Chaim Rikeach, le président du Conseil régional du Golan dans ses bureaux de Katzrin, la «capitale» du Golan.

«Il faut comprendre que lorsque l’on s’installe sur le plateau, surtout dans le nord, on va vivre en périphérie dans l’éloignement des avantages de la société moderne comme le système de santé ou les loisirs», explique, pour sa part, Mehamem Ender, un retraité de Kela Beruchim. «Je suis venu pour réaliser le rêve sioniste de peupler ce pays qui est le nôtre», ajoute-t-il. Deux de ses fils ont été grièvement blessés au Liban et à Gaza. Ses quatre enfants ont quitté le plateau. «Les jeunes ne restent pas sauf s’ils sont agriculteurs», précise Mehamem Ender.

Sentiment de précarité

L’économie du Golan repose sur ses ranchs de vaches et de bœufs. Environ 40 % de la viande consommée en Israël provient de la région mais aussi 30 % du vin. Le tourisme vert s’y développe malgré les tensions avec la Syrie et l’ennemi juré, le Hezbollah libanais. Reste qu’un sentiment de précarité est toujours présent chez les 18.000 Israéliens qui cohabitent avec 22.000 Druzes dont la plupart ont refusé de prendre la nationalité israélienne. «Une petite crainte d’être expulsé existe toujours alors quand Trump a pris sa décision historique, les doutes se sont levés», dit Chaim Rikeach. «Nous n’avons pas en revanche d’inquiétude sécuritaire. Il y a de temps en temps un tir de missile quand quelqu’un fait une connerie de l’autre côté de la frontière et voici deux ans encore nous avions al-Qaida et Daech comme voisins mais nous maîtrisons la situation», minimise-t-il.

À Katzrin comme à Kela Beruchim, le geste du président américain fait comme il se doit l’unanimité. «C’est fabuleux! L’homme le plus puissant du monde nous a donné un cadeau incroyable. Je sais que Trump est très contesté dans le monde mais un Israélien qui le critique est pour moi un dérangé», s’enthousiasme Mehamem Ender.

Tirant un trait sur des décennies de politique étrangère américaine, Donald Trump a brisé le consensus international sur la question de Golan le 21 mars par un tweet puis a rapidement signé la proclamation de reconnaissance de la souveraineté d’Israël sur le Golan dans le Bureau ovale aux côtés d’un Benyamin Nétanyahou aux anges.

Relancer les implantations juives

Le premier ministre israélien n’a pas non plus perdu de temps pour montrer sa gratitude. Le 23 avril, il publiait une vidéo dans laquelle, debout au milieu des collines ondoyantes du Golan, il annonçait fièrement qu’une ville porterait le nom du président américain. L’idée de fonder une Trump City a dans l’esprit du premier ministre une valeur symbolique mais elle s’inscrit aussi dans une volonté de relancer les implantations juives dans la région après un arrêt total de la colonisation pendant vingt ans. «Nous avons renforcé les sites existants mais ce n’est pas suffisant. Des jeunes sionistes veulent venir construire de nouveaux lieux alors la création de Trump City est pour nous une bénédiction», confirme Chaim Rikeach.

Les premiers résidents devraient prendre possession de leur logement à la fin de l’année, à l’occasion des fêtes d’Hanouka, mais il est probable que les délais annoncés par le Conseil régional ne seront pas respectés. 25 familles aménageront à Trump City. Elles devraient être ensuite 100 et à terme 400. «Les plans sont prêts. Le quartier comprend des jardins publics pour les enfants, des synagogues. Pour l’instant, 150 personnes se sont adressées à nous. Nous sommes dans le processus de sélection avec pour objectif de créer une communauté mixte de religieux et de laïcs. Nous cherchons des couples jeunes car le Nord qui est beaucoup moins peuplé que le Sud compte surtout des habitants âgés», explique Chaim Rikeach. Il veut croire qu’ils trouveront des emplois dans le tertiaire, l’agriculture géothermique, l’agrotech et le high-tech grâce au développement de pôles d’innovation. Seule ombre au tableau mais elle est de taille: la dissolution du nouveau Parlement qui ne permet pas de valider l’initiative du premier ministre. Benyamin Nétanyahou et un représentant de l’Administration américaine devaient assister sur place le 12 juin à une cérémonie pour célébrer à la fois le 52e anniversaire de la prise du Golan et la reconnaissance américaine, mais ils ne viendront pas.

«Baptiser notre implantation Trump City, c’est un peu comme donner le rôle de parrain dans une cérémonie de circoncision. On l’honore pour le congratuler», commente Noemi Ish Shalom, une enseignante excentrique installée un peu à l’écart de Kela Beruchim. «J’espère que le projet va permettre de ramener les services de l’État chez nous», ajoute-t-elle. Docteur en biologie, en botanique et en écologie, elle entretient seule un immense jardin organique aux allures de capharnaüm peuplé de poules, de chèvres et de chiens. Sa propriété est un promontoire avec vue sur la Syrie. Entre les deux, la lande est truffée de mines. «Cette implantation a toujours été un rêve quel que soit son nom», sourit-elle. Un rêve qui a pour l’instant des allures de chimère.

Source : Thierry Oberlé – Le Figaro, 09/06/19.

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